Juan Gris à la Galerie Roussard, Montmartre

Peintre, graveur et illustrateur. Madrid 23 mars 1887 - Boulogne-sur-Seine 11 mai 1927. Issu d’une vieille et riche famille catholique, son père est castillan et sa mère andalouse. Il signe ses dessins madrilènes José Gonzalez et juste avant de venir à Paris prend son pseudonyme ; cependant certains dessins cubistes sont signés Vittoriano Gonzalez. Bien que son père souhaite qu’il fasse carrière dans le négoce, il entre à la Escuela de Arts y Manufacturas, et commence à envoyer des dessins aux journaux (“Madrid Comico”, “Blanco y Negro”). Il a dix-neuf ans lorsque, lassé de l’enseignement académique d’un certain Carbonero, il décide de venir à Paris où il arrive en 1906, avec tout juste seize francs en poche. Trop fier pour demander de l’aide à sa famille, Juan Gris vit d’expédients et vend ses premiers dessins parisiens aux journaux. Il lui fallut sans doute une étrange force de caractère pour faire face, sa vie durant, aux difficultés. C’est la renommée naissante de Picasso qui l’amène au Bateau-Lavoir en 1906, où il reste jusqu’en 1922. Là, il fait connaissance avec Reverdy qui passe pour l’avoir aidé. Il continue à survivre grâce aux dessins, mais commence à peindre pour lui-même. Néanmoins, jusqu’en 1910, nul ne voit ses toiles.

En 1912, Clovis Sagot lui achète quelques œuvres et dorénavant il se consacre uniquement à la peinture. Il expose aux Indépendants en 1912. A l’automne, il participe à l’exposition de la Section d’Or, rue La Boétie, où se retrouvent tous les tenants du Cubisme. Entre-temps, il envoie quelques œuvres à l’Exposition cubiste de Barcelone, galerie Delmau. Dès 1907 Kahnweiler, qui vient visiter Picasso et plus tard Max Jacob au 13 rue Ravignan, remarque, lors d’une de ses visites, Juan Gris qui a l’atelier à gauche de l’entrée et qu’il prend pour un créole, en raison d’un teint olivâtre. C’est Picasso qui lui révèle son nom, que le marchand a déjà vu au bas de dessins parus dans “l’Assiette au Beurre” ou le “Charivari”. C’est seulement au tout début de 1910 que Gris montre ses grandes aquarelles, qui portent déjà sa marque, et en 1912 son “Hommage à Picasso”. L’atelier en désordre de Juan Gris ne diffère en rien des autres ateliers du Bateau-Lavoir ; les murs sont couverts de papiers et de dessins, cependant aucun tableau n’est accroché. La pauvreté des lieux ne choque guère à cette époque car c’est le lot commun de tous dans le quartier.

Deux femmes partagent sa vie, la première lui donne un fils, Georges Gonzalez Gris et disparaît un jour ; Gris confie l’enfant à sa sœur Antonieta, à Madrid. La seconde vers 1913, Josette reste auprès de lui jusqu’à sa mort. Fine, intelligente et spirituelle, elle sait comprendre le peintre, malgré quelques querelles ils sont, semble t-il, heureux.

Gris se mêle peu à la vie de bohème de la Butte, on ne le voit guère chez Azon, le rendez-vous des Cubistes, et encore moins au Lapin. En fait, son plaisir est de discuter peinture avec ses amis dans l’un ou l’autre des ateliers. Il boit peu, son seul abus concerne le café. De belle apparence, il semble avoir du succès auprès des femmes et ne s’en vante jamais. On le dit sérieux et austère mais c’est en fait un gai compagnon pour ses amis, après le travail. Cependant c’est à cette époque qu’apparaissent les premiers symptômes de la maladie de foie qui l’emportera jeune.

Durant l’hiver 1912, Kahnweiler lui propose un contrat exclusif pour sa production passée et future; désormais il cesse d’exposer aux différents Salons parisiens. Ses premiers collectionneurs sont les Stein, Léonce Rosenberg, le sculpteur Brenner. A l’abri du besoin, il voyage, va dans le Roussillon, puis en été 1913 à Céret, où se trouvent déjà Picasso et Manolo. Ce dernier critique le Cubisme, et bien qu’étant un grand artiste, il ne semble pas avoir compris la portée de ces recherches, confondant le signifiant et le signifié, la “forme” cubiste et la chose représentée. Le séjour à Céret est profitable au travail de Gris. En 1914, il retourne à Collioure. Sur la Côte il rencontre Matisse, qui tente de l’aider. Durant la guerre, ses conditions de vie empirent très vite. Fin 1914, il revient à Paris ; en 1915, pour survivre, il annule son contrat avec Kahnweiler réfugié à l’étranger. Léonce Rosenberg lui achète des tableaux à partir de 1915 et le prend en contrat en 1917. Il ne quitte pratiquement pas son atelier, en dehors d’un court séjour en Touraine.

Cependant la vie intellectuelle reprend, le Nord Sud paraît, on parle des Ballets Russes, Erik Satie et Picasso collaborent, Reverdy , alors au 12 rue Cortot, devient un ami intime. Les peintres, les poètes reviennent au Bateau-Lavoir. En avril 1919, Rosenberg expose les œuvres récentes de Gris. Dans les lettres à son ancien marchand, il donne des nouvelles des artistes, par toujours tendre avec Picasso, il admire Braque qui ne se serait pas bien conduit avec lui, apprécie assez modérément Léger, annonce l’arrivée de Laurens impasse Girardon, admire Lipchitz, rencontre Severini, et est impressionné par Reverdy et son groupe de jeunes poètes qui dit-il s’éloignent de Cendrars et de Tzara. J. Gris expose aux Indépendants en 1920, salon qui regroupe en dehors de Picasso “les plus ou les moins cubistes”. La critique est bonne et même Vauxcelles fait amende honorable. Gris prend de l’assurance, et il est perçu maintenant comme un maître.

Malheureusement, il contracte une pleurésie, et pour se soigner part avec Josette à Bandol où ils vont rester jusqu’en avril 1922. Après des péripéties entre marchands, Juan Gris renoue avec Kahnweiler un accord qui durera jusqu’à sa mort.

Gris quitte Montmartre pour s’installer dans un appartement au 8, rue de l’ancienne Mairie, à Boulogne-sur-Seine (Boulogne-Billancourt auj.), où il meurt en 1927. A l’enterrement assistent tous ses amis peintres, poètes, musiciens, sculpteurs : la procession est menée par son fils Georges et par Picasso, Lipchitz, Raynal et Kahnweiler.

Atelier au Bateau-Lavoir de 1906 à 1922.

Nous tenons une partie de ces précisions du livre que Kahnweiler a consacré à Juan Gris, ainsi que des lettres de ce dernier, et de diverses autres sources.